Lecture : Jean 2 /1 à 12 : « Tel
fut, à Cana en Galilée, le premier des miracles que fit Jésus. Il
manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. »
C’est le
seul miracle de ce genre que Jésus a accompli. On peut en discuter
l’utilité ou la signification, en donner de multiples
interprétations comme cela s’est fait au cours des siècles, cela
n’empêche que le fait est là et que ce miracle semble inaugurer
le ministère public de Jésus.
Il
convient d’abord de bien comprendre le mot miracle. Jésus n’a
rien fait contre les lois établies par le Créateur par cette
transformation matérielle instantanée. Théoriquement et
scientifiquement cela est explicable mais pas forcément
compréhensible pour notre intelligence limitée. Il en est de même
pour tous les miracles et si Jésus les a accomplis c’est parce
qu’ils constituent autant de SIGNES, c’est là le vrai sens que l’Évangile donne à ce mot « miracle », pour établir
le fait de sa mission divine.
Le signe
que Jésus consent à accomplir est le résultat de son désir de
venir en aide aux créatures humaines en éveillant en elles un sens
nouveau des réalités divines. Dieu n’est pas celui qui se cache
et se dilue dans les abstractions philosophiques mais il est le Père
de sa créature pour laquelle il a préparé tout un vaste plan de
bonheur sans cesse croissant. Mais le bonheur n’est rien pour celui
qui est inapte à le recevoir. La grande question qui se pose à
l’humanité n’est pas tellement celle de l’absence de bonheur
mais plutôt celle de son inaptitude à le réaliser.
C’est
pourquoi le signe que Jésus consent à faire revêt une
signification certaine car les actes d’un homme révèlent toujours
un trait de son caractère profond. Il faudrait pouvoir se
représenter réellement ce qu’étaient les circonstances humaines
de ce moment pour parvenir à expliquer totalement le geste du
Seigneur. Ce qui est certain c’est qu’il ne refuse pas de
participer à la joie de ces familles réunies pour célébrer un
mariage. Jésus a d’ailleurs souvent comparé le Royaume de Dieu à
des noces. Cela souligne bien le fait que la volonté de Dieu est
notre joie et notre bonheur et que son message, qu’il nous transmet
par le ministère de son fils, est en vue de nous en montrer le
chemin.
Cependant
on ne peut manquer de noter une certaine hésitation de la part de
Jésus lorsqu’il est question de répondre à la demande de sa
mère. Jésus a toujours été animé d’une grande compassion pour
les hommes et d’un intense désir de venir en aide à leur pauvreté
et à leur ignorance. Mais ce désir a toujours été subordonné à
sa loyauté totale envers la volonté de son père car il savait très
bien que la volonté divine ne se bornait pas simplement à un
bonheur terrestre et matériel pour sa créature. L’homme à courte
vue se laisse facilement désemparer devant le spectacle d’un monde
se débattant dans une lutte continuelle comme sous le regard
indifférent de Dieu. Mais si tous les hommes comprenaient la nature
et le caractère d’un vrai bonheur ils abandonneraient bien des
luttes vaines et se libéreraient de bien des tourments. Jésus veut
bien contribuer au bonheur des siens, mais pas au détriment de leur
progression spirituelle et de leur aptitude mentale à saisir les
vraies valeurs.
- Le désir de Marie et l’heure du maître
L’intervention
de Marie auprès de son fils est visiblement calculée et cette
spontanéité sentimentale se nourrit de l’espoir bien humain de
voir ce fils affirmer publiquement son caractère messianique. Comme
tous les juifs de ce temps, Marie et les disciples attendaient avec
impatience le moment où le messie prouverait qu’il en est un par
les démonstrations de son pouvoir pour donner à sa nation la
prospérité matérielle et la liberté. Marie n’oubliait pas les
promesses et les prophéties concernant la personne du messie et
l’avenir d’Israël et elle était très consciente du rôle
privilégié qui pouvait être le sien dans cette affaire. Qui ne
l’aurait pas été à sa place ?
C’est à
cette occasion qu’elle reçoit son premier choc affectif
d’importance car l’hésitation de Jésus ne lui passe pas
inaperçue et sa réponse lui reste en grande partie inaccessible. Il
est vrai que Jésus sera un jour universellement connu comme
souverain suprême d’un Royaume éternel de lumière et de joie
mais, comme le déclare le prophète Esaïe, autant les cieux sont
élevés au dessus de la terre, autant les voies et les pensées de
Dieu sont supérieures à la pensée des hommes (Esaïe 55 :9)
L’heure
de la manifestation royale de Jésus sonnera mais selon des plans et
des procédés qui assureront à toujours le bien et le bonheur de
ses sujets. Marie, comme les disciples, en est encore au stade de
l’enfance spirituelle et de la foi primitive qui ne discerne pas le
caractère fondamentalement spirituel du Royaume de Dieu. C’est un
trait particulier à toute l’enfance que le désir des
satisfactions immédiates et de l’incapacité d’investir
l’énergie de récoltes futures.
Jésus ne
refuse pas de descendre au niveau de la compréhension bornée des
hommes quand il s’agit de les encourager à croire. Tous les
parents normaux savent se mettre à la portée de la mentalité
inexpérimentée de leurs enfants quand il convient de les stimuler
dans l’apprentissage de leur vocation d’homme. Les enfants n’ont
qu’une vision très restreinte et très égocentrique du monde qui
les entoure et le moindre incident dans leur existence prend des
proportions universelles ; c’est pourquoi ils se disputent
facilement pour un morceau de bois ou pour un bâton.
Cette
attitude de l’enfance peut malheureusement se transposer souvent
dans le comportement des adultes qui refusent de grandir
spirituellement. Jésus comprenait bien sa mère humaine et ses
disciples qui ne voyaient pour l’instant que la gloire matérielle
de leur patrie et les satisfactions personnelles de leurs ambitions
terrestres. Ils désiraient que Jésus agisse sur le plan immédiat
et local alors qu’en réalité son œuvre avait une portée
universelle, une répercussion cosmique et une éternelle durée.
On peut
mesurer la chemin parcouru par la Révélation en méditant sur les
déclarations que l’apôtre Paul fera plus tard sur l’universalité
du ministère de Jésus, entre autres voir par exemple Philippiens
2 :9-11. Une élévation purement matérielle sans formation ni
préparation spirituelle ne réussit qu’à éveiller l’orgueil et
susciter des jalousies. La gloire matérielle n’est pas exclue de
l’univers ni de l’avenir des hommes, elle est décrite dans l’Écriture comme l’ornement impérissable de la nouvelle
Jérusalem et de la nouvelle terre, mais il est bien précisé que si
ces choses sont possibles c’est parce que la justice et la
droiture prévaudront. Or, ces vertus sont immatérielles et
d’essence spirituelle et la gloire matérielle subsiste quand elle
est le reflet d’une réalité spirituelle.
- La déception de Marie
Si nous
pouvons discerner les vrais motifs de l’intervention de Marie ce
n’est pas par une libre supposition. Jésus n’en était qu’au
début de sa manifestation publique et il suffit de se reporter aux
récits qui suivent pour se rendre compte combien il était incompris
de ceux qui lui étaient le plus proche. Jésus a incontestablement
surpris et déçu sa propre famille par son indifférence de plus en
plus affichée de la gloire humaine. Son comportement les décevait
sur le plan de leurs ambitions terrestres au point qu’ils en
arrivèrent à penser que Jésus n’est plus dans son bon sens. Sa
mère et ses frères se concertaient pour essayer de le dissuader de
continuer dans cette voie qui lui vaut de plus en plus l’hostilité
ouverte de certains chefs religieux. Ils voudraient se saisir de lui
et le ramener à la maison. Nous pouvons lire cela dans Marc 3 /
21-35.
Faisons
bien attention quand nous insistons auprès de Dieu pour avoir des
preuves matérielles de sa puissance car nous risquons d’être
d’autant plus déçus, par la suite, que nous aurons mal compris le
caractère occasionnel de son intervention. Il est de première
importance que notre foi devienne de plus en plus spirituelle jusqu’à
la capacité de se passer complètement de tout signe matériel pour
l’appuyer.
D’ailleurs,
cela a été une des formes de la pédagogie de Jésus que
d’enseigner ses disciples en leur apprenant à croire sans voir. Il
est vrai qu’ils ont été de puissants instruments entre les mains
de Dieu au cours de leurs ministères mais ils l’ont été pour
éveiller la foi des autres. Quand à eux, ils ont appris à
supporter les inévitables persécutions de cette époque et à
mourir dans d’obscures prisons sans l’ombre d’un espoir de
délivrance matérielle. Mais leur foi avait fait du chemin et ils
étaient devenus comme leur Maître.
- Un procédé significatif
Remarquons
bien que Jésus est intervenu sans avoir l’air d’intervenir. Il
n’a fait que donner un ordre tout à fait naturel en demandant
qu’on remplisse des vases de pierre qui se trouvaient normalement à
leur place. Jésus a toujours évité de donner un caractère
insolite et magique à ses interventions miraculeuses. Il a agit en
Maître, connaissant parfaitement la nature des choses sur lesquelles
il intervient.
Il
accepte, pour cette unique fois, de faire du vin mais il le fait avec
de l’eau. Il ne crée pas, il transforme. S’il est admis que le
vin est un symbole de joie et d’Esprit dans les écritures nous
pouvons penser que cette occasion concordait avec son désir de
donner un signe en relation avec ce Royaume spirituel qu’il voulait
inaugurer dans le cœur des hommes.
Les vases
vides peuvent être remplis à condition qu’il y ait quelque chose
dedans. C’est la logique du seigneur ; il a dit une fois :
on donnera à celui qui a. En effet, comment être rempli sans
d’abord avoir le désir d’être rempli. Ceux qui envient la foi
des autres ne peuvent la posséder sans être rempli du désir de
l’avoir. Si quelqu’un veut connaître la vérité il faut qu’il
la désire. C’est une loi du Royaume spirituel de Dieu que
seulement celui qui désire y entrer peut y entrer. C’est un
Royaume de liberté qui ne peut recevoir que ceux qui consentent
librement d’y accéder. C’est pourquoi Jésus refuse de
contraindre les gens à croire superficiellement en neutralisant leur
pensée par des miracles incontrôlés.
Mais il
faut aussi que le désir soit pur et conforme au plan de Dieu pour
assurer le bonheur et la vraie joie. Pour avoir désiré à tout prix
un messie à la mesure de leurs ambitions terrestres, les juifs
d’alors on eu des faux messies qui les ont séduits et trompés.
Actuellement l’idée du messie est beaucoup plus évoluée et
beaucoup plus noble. Elle se rapproche de la notion spirituelle et ce
cheminement prépare le terrain pour la grande révélation finale
qui touchera la planète entière. Les prophètes ont annoncé cet
événement qui verra les petits et les grands ( le peuple et les
chefs) être remplis de l’Esprit du Messie qui leur permettra
d’être alors véritablement le peuple messianique pour toute la
terre. De Sion sortira la loi et de Jérusalem la parole de l’Éternel.
C’est
ainsi que la première nouvelle manifestation publique du Messie se
produira lorsqu’il changera l’eau en vin, les larmes en chants
d’allégresse. C’est dans les cœurs que s’écrira la loi et
non plus sur les parchemins poussiéreux des traditions humaines.
Jérusalem n’est pas encore la ville de la liberté spirituelle
mais le deviendra un jour pour la joie de tous les peuples. Toutes
les formes d’asservissement dogmatique ou rituel y sont encore
représentées mais la puissance de l’adoration en esprit et en
vérité fera un jour table rase de tout cela. L’eau sera changée
en vin parce que c’est le désir du Seigneur qu’il en soit ainsi
et il fera cela exactement au temps convenable. Ce qu’il a dit
s’accomplira.
- Le meilleur vin est à la fin
Il arrive
toujours un moment où quelque chose finit. On ne peut s’opposer à
cette échéance. C’est le sujet de bien des regrets pour ceux qui
n’ont pas encore réussi à élever leur pensée au niveau de
l’interprétation spirituelle des choses et des faits de la vie
présente. Lorsqu’on accepte de grandir spirituellement on découvre
que les choses changent pour laisser en réalité la place à quelque
chose de meilleur.
Bien que
les joies de notre enfance aient été précieuses à nos cœurs nous
ne voudrions cependant pas n’avoir perpétuellement que cela. La
vie nous a enseigné la valeur profonde des choses et nous devrions
normalement toujours éprouver, non le regret des bonnes choses
passées, mais la joie de savoir que celles qui viennent sont encore
meilleures.
Les autres
ont parfois besoin que nous les aidions à obtenir les preuves
matérielles de la bonté de Dieu et nous le ferons d’autant plus
efficacement que nous aurons dépassé ce stade infantile de la foi
pour nous fonder toujours plus profondément sur les certitudes
spirituelles de la foi, constamment progressive.
Que le
peuple d’Israël ne se contente pas de regretter les gloires
passées. Comme le dit le prophète Aggée : La gloire de cette
dernière maison sera plus grande que celle de la première.
Que le
croyant ait le courage de sortir de l’enfance spirituelle pour
accéder à la joie toujours plus profonde de boire à la source sans
cesse nouvelle d’une toujours meilleure connaissance de Dieu et de
son règne spirituel sur les cœurs.
Samuel
Guilhot
15/
02/ 1970
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