jeudi 19 avril 2012

La loi et la liberté

Lectures : 2 Corinthiens 3/ 7-18 ; Matthieu 5/ 17-20.
L'incompréhension, la réserve et l'opposition que les juifs manifestaient à l'encontre du message de Jésus ne devraient pas toujours nous étonner ni nous les faire juger. Ce réflexe naturel se retrouve étrangement à tous les niveaux de l'expérience religieuse. Il est tou­jours difficile d'amener quelqu'un au contact d'un élément nouveau de la Vérité sans qu'il croit d'abord qu'il s'agit de changer de religion. Qu'elle soit pratiquée ou non on estime qu'il est incorrect ou malséant de changer quelque chose aux habitudes acquises et de se singulariser par rapport à une majorité ou aux traditions établies.
On rejette d'instinct tout enseignement nouveau ou, si on l'accepte, on s'y accrochera, on s'y soumettra aveuglément comme si c'était le centre de l'univers. Les guerres de religion ont souvent déchiré les hommes parce qu'ils n'ont pas compris le vrai but de la religion qui est d'affranchir l'homme et non de l'asservir. Les juifs ne voulaient pas comprendre que la nouvelle doctrine de Jésus n'avait pas pour but de supprimer la loi qui était le fondement de leur vie reli­gieuse mais de lui donner sa véritable signification. Autant il est vrai que nous devons nous détourner de toute doctrine qui tend à la négation de la personnalité ou à son asservissement, autant nous devrions prêter attention à ce qui contribue à nous faire mieux comprendre que la Vérité de Dieu libère toujours l'esprit de l'individu et favorise sa croissance spirituelle. Une doctrine n'est qu'une formulation théorique de la vérité mais elle sera toujours dangereuse si elle ne passe pas dans l'expérience vivante qui fait découvrir que le Royaume de Dieu est un Royaume d'Amour et de Liberté. Les juifs comme les chrétiens dans l'histoire montrent qu'ils ont cru parfois rendre un culte à Dieu en persécutant ou en faisant mourir ceux qui adhéraient à une nouvelle expression de la vérité. Jésus n'a jamais fait cela, il a toujours servi Dieu en servant ses frères bien que ceux-ci étaient très loin de le comprendre et de recevoir ses enseignements. Mais Il ne désespérait pas qu'un jour ils essayeraient d'ouvrir leur cœur et d'accepter de sortir de leur prison mentale. S'il est vrai que la Révélation de Dieu donnée au travers des Écritures ne change pas il est indispensable que change notre compréhension de la Vérité. Elle doit changer dans le même sens dont change la compréhension de l'enfant qui grandit et qui apprend à voir les choses avec plus de maturité et de profondeur. Ses parents seront toujours ses parents mais on ne peut pas dire qu'il devra les considérer indéfiniment avec les mêmes sentiments que lors­qu'il était bébé. Ce qui satisfait un individu quand il est bébé ne peut plus le satisfaire quand il est grand. S'il est normal, toute sa conception des choses évolue avec lui bien que les choses puissent rester extérieurement les mêmes.
L'enfance de la nation juive avait été dotée de la loi mais cette loi s'est figé dans un concept erroné de la Divinité pour devenir un joug pesant écrasant de tout son poids les consciences captives. Les juifs firent une loi rigide de ce qui était en réalité un enseignement ayant pour but de guider les âmes vers le Pays de la liberté. Le mot «loi» signifie exactement en hébreu : «enseignement, direction à suivre, invitation à suivre un chemin» et ce chemin a toujours été celui de la liberté. C'est pourquoi les dix commandements sont intro­duits ainsi : «Je suis l’Éternel ton Dieu qui t'a fait sortir de la maison de servitude». N'accusons pas les juifs, les chrétiens ont fait la même chose avec les enseignements de Jésus. Comme la chrysalide dans son cocon, l'homme a besoin de protéger le départ de sa conscience religieuse par quelques règles précises et une discipline appropriée mais il ne faut pas qu'il s'y étouffe et qu'il oublie qu'il est fait pour avoir des ailes.
La loi libératrice est devenue une loi asservissante. Pourquoi ? C'est certainement à cause de cette même paresse d'esprit qui bloque les chrétiens dans le cercle étouffant des théo­ries doctrinales toutes faites. La lettre compte plus que l'esprit, le sabbat plus que l'homme et le Temple plus que Dieu. La peur obsédante de s'égarer paralyse l'aventure de la foi et l'on redoute beaucoup plus les pièges du diable qu'on a confiance en la puissante fidélité de Dieu pour nous conduire dans l'expérience de TOUTE la Vérité. La tristesse et la peur de­viennent ainsi le voile qui neutralise la lumière bienfaisante de l'Esprit.­
La paresse d'esprit trouve plus confortable une ligne toute tracée entre des barrières in­franchissables qui ne nécessitent pas la recherche de la volonté divine. On s'abstient de faire ce qui est interdit, c'est tout ; la foi n'est pas utile. C'est le confort de la prison. Les juifs ajoutaient même les barreaux de leurs interprétations successives qui ont de plus en plus réduit l'espace vital des consciences humaines. Nous connaissons ce qu'il en était de l'interprétation du sabbat par exemple. Alors que la barrière de la loi n'était qu'un non divin aux pratiques avilissantes du péché et s'opposait à tout retour en arrière elle ouvrait par contre un immense horizon spirituel à l'aventure de la foi. L'homme savait ce que Dieu ne voulait pas mais devait chercher ce qu'il voulait et le désirer avec amour. Jésus constatait que tous les efforts religieux de la plupart des hommes se limitaient à ne pas faire le mal mais ils n'était pas capables de faire le bien. Cette façon négative de pratiquer sa vie religieuse conduit souvent à l'hypocrisie et à la suspicion réciproque de ceux qui se surveillent les uns les autres pour dénoncer l'éventuel transgresseur.
Alors que la loi interdisait toute représentation de la divinité par une image quelconque en vue d'un culte idolâtre, ils en ont fait une condamnation générale de toute forme d'expression de la beauté. Prenons un autre exemple de cette attitude négative : le commandement de ne pas tuer a été réduit à son expression purement physique et ils oubliaient le côté positif qui était de favoriser la vie aussi bien morale que physique. Ils refusaient à Jésus de faire des guérisons le jour du sabbat ou aux disciples le droit de ramasser quelques grains pour se nourrir. N'accusons pas ! Beaucoup croyaient bien faire et beaucoup de chrétiens sont exactement comme cela. La loi n'était pas mauvaise mais elle était mal interprétée. Ils évitaient soigneusement de faire ce que Dieu ne voulait pas mais ils ne discernaient pas ce qu'il voulait.
Jésus s'est efforcé d'enseigner la vraie signification de la loi. Non seulement il l'accomplit mais en révèle la perfection spirituelle qui conduit à une justice supérieure. Cette justice est une conséquence de la foi et la foi est l'amour de la volonté divine. Il ne peut pas y avoir d'amour à ne pas faire quelque chose. On ne peut qu'aimer faire quelque chose et la loi comprise spirituellement consiste à discerner ce qu'il faut faire pour plaire à Dieu. Le Royaume de Dieu n'est pas autre chose que l'ensemble de ceux qui aiment faire la volonté de Dieu et la recherchent sincèrement. Ce Royaume a la grandeur infinie des accomplissements infinis de la volonté divine. Ceux qui limitent la volonté divine au cercle restreint des interdictions ne sont que les êtres chétifs et petits du Royaume, mais ceux-là sont grands qui sans cesse reculent les limites de leur compréhension spirituelle et travaillent hardiment à affranchir les âmes craintives en rompant toute espèce de joug de dessus leur cou. Il ne peut pas y avoir de fin au progrès spirituel et à la découverte de la liberté de l'esprit. Un tel christianisme est un contact vivant et permanent avec la source du bonheur et contribue efficacement à détendre les atmosphères et à encourager les craintifs. La volonté de Dieu n'est pas uniquement l'absence du mal mais la présence et la recherche continues du bien, du vrai et du beau dans la vie de ses enfants.
Une religion est d'autant plus spirituelle qu'elle a d'autant moins besoin de règlements et de lois qui n'exigent qu'une adhésion intellectuelle et un respect des formes. La règle royale est celle de l'amour telle que Jésus l'a vécue en accomplissant uniquement par amour et par plaisir la volonté de son Père.
Le ciel n'est pas une caserne que gouverne la crainte des supérieurs mais une vaste famille où les enfants du Père céleste l'aiment et ont confiance en Lui. Il n'est pas difficile pour les enfants d'une telle famille de se trouver ensemble et de s'aimer les uns les autres. Une église n'est pas un tribunal mais une maison spirituelle, refuge et détente de tous ceux qui sont aux prises avec les contraintes de l'existence matérielle. L'amour qui unit n'est pas celui des uniformités de pensées ou d'habitudes mais de l'unité d'espérance et de but qui conduit chacun à s'exprimer librement et sans crainte d'être soupçonné de mauvaises intentions. Une telle liberté dans un tel amour contribue bien plus que toutes les lois et les règles à cimenter la compréhension et l'appréciation mutuelles en favorisant le progrès spirituel et le perfectionnement des caractères.
C'est enfin dans un tel climat de confiance que pourront s'élaborer les nouvelles compréhensions de la Vérité qui rapprochent davantage de la réalité infinie du Royaume de Dieu et que pourront s'élucider les mystères du plan divin concernant l'éternel avenir. Les de­meures célestes sont des réalités dont nous pouvons déjà concevoir les formes et les acti­vités et l'éternité n'est pas simplement un but pour notre foi mais un but. Ce but est le cheminement de l'âme dans son corps et par son esprit glorifiée vers les sommets inaccessibles de la Divinité pour une action créatrice et les commencements toujours nouveaux de perfections en perfections. Dans le ciel rien n'est fixe ni figé dans les monumentales rigueurs et les inflexibles majestés des souverainetés humaines. Tout est liberté et adap­tation continuelles aux formes vivantes et lumineuses d'un paysage fait pour vous rendre heureux d'un bonheur qui n'est même pas imposé mais que l'on découvre à chaque pas.
Samuel GUILHOT 23/ 02/ 1969

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